Politiques d’innovation des sociétés françaises
2 09 2006L’article d’Annie Kahn paru dans Le Monde le 29 août 2006 (édition du 30 août) et intitulé « Du changement dans les politiques d’innovation des sociétés françaises » (archivé par Spyworld), commence ainsi :
« Les entreprises françaises sont sur le point de révolutionner leur façon d’innover. » Navi Radjou, vice-président de Forrester Research, une société d’études américaine basée à Cambridge (Massachusetts), en est persuadé, au point d’avoir fait de ce constat le titre d’un rapport publié jeudi 24 août.
Navi Radjou, qui considèrerait par ailleurs que « les pôles de compétitivité sont trop centrés sur l’invention et non sur l’innovation », estimerait que quelques grandes entreprises françaises « pionnières » (dont Renault-Nissan, Air liquide, BNP-Paribas, la Société générale, CNP Assurances) vont pouvoir accroître fortement leur compétitivité grâce à de nouvelles « bonnes pratiques » qui pourraient faire école en France. La mesure prise par ces entreprises qu’il remarque est en effet l’ouverture de leurs laboratoires non seulement sur les autres services des entreprises, mais aussi sur ceux de partenaires, fournisseurs ou clients, pour mettre en place des réseaux d’innovation. Soit, pourquoi pas.
Ce qui m’interpelle particulièrement toutefois, c’est la conclusion qui en est tirée :
Les réseaux d’innovation nécessitent un profil de salariés différent de celui recherché traditionnellement pour les laboratoires de recherche. « Il faudra recruter des spécialistes de la gestion technologique plutôt que des ingénieurs, estime M. Radjou. Et favoriser la création de formations au management, du type Master of Business Administration (MBA) dans les écoles d’ingénieurs. »
Je ne peux en effet qu’abonder dans le sens de Pierre K. qui laissait sur le site du Monde, à propos de l’article d’Annie Kahn, ce commentaire :
En entreprise, tant que l’innovation sera gérée uniquement par le marketing (market pull) ou uniquement par les ingénieurs (techno push) qui sont sensibilisés mais pas formés pour le management de l’innovation, l’échec - ou une création de valeur limitée - seront là. C’est un nouveau métier qui doit revenir à une frange d’experts totalement mésestimés en France : les docteurs ! La France ouvrirait-elle les yeux ? Il est temps…
La France forme moins de docteurs que ses voisins, et ses entreprise en emploient moins encore. Désolé pour le plaidoyer pro domo, mais il me semble toujours inquiétant de voir considérer que ce déficit (la situation française est à cet égard exceptionnelle dans le monde) puisse se résoudre par une politique de l’autruche. Il est urgent pour les entreprises de s’approprier ces précieuses compétences des docteurs qui les distinguent des ingénieurs ou des gestionnaires : la capacité d’identifier et de formaliser des problèmes nouveaux ou de renouveler la formalisation de problèmes anciens, l’aptitude à expérimenter des méthodes innovantes pour y répondre, savoir-faire éprouvé en matière de validation et d’évaluation d’idées nouvelles, l’expérience du travail dans des projets collectifs et l’implication dans des réseaux internationaux d’experts - autant de compétences peu banales et vitales pour un grand nombre d’entreprises, débordant largement les services de Recherche & Développement.
Rappel : les entreprises qui recrutent des docteurs peuvent par exemple à ce titre, et sous certaines conditions, bénéficier notamment de dispositions du Crédit d’Impôt Recherche, et d’aides d’Oseo-ANVAR.
Remarque : je n’ai pas lu la version originale de Navi Radjou, « A French Revolution In Innovation Is Unfolding. Innovation Networks Boost French Firms’ Global Competitiveness ». Il est possible que le compte-rendu qui en a été fait dans Le Monde n’en ait pas totalement conservé l’esprit.
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