Au-delà d’anticiper les usages, encourager l’appropriation et le détournement

24 11 2006

Daniel Kaplan vient de proposer une réflexion très stimulante sur les processus d’innovation et la question des usages dans la conception des nouveaux objets (technologiques, notamment). Une version un peu plus courte est également disponible pour les lecteurs plus pressés.

Il y appelle à l’adoption d’une culture de l’ouverture, de la participation ou de l’inclusion, qui est bien loin des habitudes de nos entreprises, puisque la démarche - transférant l’esprit du web 2.0 à un panel de produits beaucoup plus large - signifierait par exemple :

  • Ouvrir autant d’interfaces de programmation et d’accès aux données que possible,
  • Ouvrir autant de morceaux du code ou des schémas techniques qu’il est possible sans se mettre en danger (parfois 100%, parfois moins, à nouveau il n’est pas question ici de principes moraux),
  • Créer délibérément des « prises » destinées à faciliter l’adaptation le bricolage, la personnalisation, le détournement, la recombinaison… de ce qu’on a produit - cela valant autant pour les logiciels que pour les objets, même si c’est moins facile dans le second cas,
  • Penser les produits autant comme des plates-formes d’innovation que comme des objets finis, admettre la validité de la « beta permanente » et s’intéresser aux idées, connaissances, valeurs et compétences qui émergent autour de ces produits-plates-formes…

Si, comme D. Kaplan le laisse entendre, le recours aux marketeurs pour anticiper les usages déçoit parfois les entreprises, sans doute sera-il plus pertinent et efficient de s’appuyer sur des spécialistes des usages et des pratiques (en premier lieu les sociologues, ethnologues, anthropologues, ou psychologues) pour suivre l’appropriation des objets par les utilisateurs. Sans doute serait-il également souhaitable que les chercheurs et concepteurs - et plus généralement les entreprises - soient accompagnés par ces mêmes spécialistes dans ce processus d’ouverture, pour que les détournements d’usage ne soient pas rejetés mais au contraire réappropriés et exploités le plus rapidement et efficacement possible par les services de production.



Exemple réussi d’entreprise 2.0

21 11 2006

Andrew McAfee propose une présentation des principes de fonctionnement de l’intranet de la société basée à Seattle, Avenue A | Razorfish (un millier de personnes, $190 millions de chiffre d’affaires). Il détaille comment cet intranet intègre automatiquement des informations tirées des sites de social bookmarking (del.icio.us), de partage de photos (Flickr) et de notation de news technologiques (Digg). Ces informations sont choisies par les employés pour leur pertinence avec les activités de la société, et destinées à eux-mêmes ou à leurs collègues. Le tout intégré à un wiki, articulé à des blogs, et à grands renforts de tags.

Avec en prime une note optimiste sur l’appropriation de ces outils par les employés, y compris par les personnes aux profils pour lesquels il est souvent pressenti, de manière stéréotypée donc, des difficultés avec ce genre de technologies et les changements dans les usages qu’elles impliquent… À méditer !



Itensil : du wiki avec workflow

18 11 2006

Les wikis sont des outils efficaces de gestion de projet, notamment pour les aspects concernant le management des connaissances, mais aussi, en phase de création, pour le support à l’élaboration collective et sa conduite.

Un produit intéressant, qui existe depuis déjà quelques temps, mais que j’ai découvert tout récemment grâce au billet de présentation enthousiaste et très détaillé que Rod Boothby (innovation Creators) a posté il y a déjà quelques jours, mérite à mes yeux d’être suivi de près. Sébastien Sauteur (Valeurs d’Usages rc) vient également de le signaler.

ItensilIl s’agit d’Itensil, un outil plutôt révolutionnaire couplant workflow et fonctionnalités wiki, à fortes doses d’AJAX, tout en drag-and-drop. Itensil - contraction de « Information Utensils » selon Zoli Erdos (Zoli’s Blog) - est en effet, pour reprendre les termes de la société, un Team Wikiflow.

Fondamentalement, il s’agit, comme le note Jack Vinson (Knowledge Jolt with Jack), de la combinaison d’un gestionnaire de processus et d’un gestionnaire de projet. L’outil permet en effet facilement de réaliser des organigrammes de processus (et de les associer à des pages ou objets du wiki), mais aussi de gérer un ou plusieurs projets (et équipes) puisqu’à partir des organigrammes de processus, il est possible d’affecter des ressources humaines aux différents tâches d’un processus donné. Au wiki est en effet associée, pour chaque utilisateur, une todo-list consultable suivant deux vues : les tâches que l’utilisateur s’est attribué, et les tâches que d’autres lui ont attribuées (chaque tâche pouvant de surcroît être classée selon des catégories). Un clic sur une tâche permet de passer à la page wiki qui lui est associée. Et sur cette page, un bouton peut déclencher des événements dans le processus dans lequel la page et la tâche sont intégrées.

Le tout est bien pensé et rend possible une facilité de gestion des processus associés aux pages du wiki et aux ressources humaines qui est déconcertante ! De plus, étant toujours particulièrement sensible à l’ergonomie mais aussi au design des interfaces, je dois bien reconnaître qu’on ne peut qu’être impressionné par l’élégance de l’outil et son degré de finition (je ne parle pas ici des fonctionnalités, je ne les ai pas testées)

Une fonctionnalité qui serait sympathique (elle n’apparait pas dans la démo de présentation), serait de pouvoir également gérer des groupes et assigner des tâches à ces groupes, et non pas seulement à des individus. Ce mode de management, plus ouvert et plus souple, a en effet bien des avantages.



Le wiki : usages et intérêts pour l’entreprise

9 11 2006

Je ne connaissais pas encore Valeurs d’Usages rc de Sébastien Sauteur. Merci donc à Sylvie Le Bars (Arkandis) de me le faire découvrir à l’occasion de la publication, il y a déjà un mois, de 3 billets de présentation du wiki :

J’utilise des wikis depuis plus de 4 ans pour la gestion de projets, la gestion des connaissances et le travail collaboratif ; et ces billets constituent à mes yeux une très bonne synthèse, complète et qui propose une formalisation - approfondie - toujours bienvenue. De surcroît, je trouve que l’approche par les usages en entreprise est très pertinente.

Votre avis ? vos réactions ?



SparkAngels : plus qu’un service d’entraide numérique

29 10 2006

SparkAngelsLes concepteurs de SparkAngels présentent leur logiciel comme un logiciel d’entraide numérique. Mais c’est bien plus : il peut, sans grand détournement, être utilisé comme un outil pour le travail collaboratif en ligne en temps réel.

Je suis surpris de constater qu’une recherche (certes sommaire…) ne m’a pas permis de trouver mention d’autres utilisations possibles de SparkAngels. Tous les commentaires que j’ai consultés s’inscrivent dans la perspective tracée par la présentation officielle du logiciel :

SparkAngels est un service d’entraide numérique qui va vous permettre d’inviter l’un de vos proches ou ami(e)s à partager votre écran et éventuellement votre souris et clavier pour vous faire accompagner efficacement à distance et en toute sécurité, dans votre propre environnement informatique.

Dans un billet précédent, j’ai évoqué Gobby, un éditeur de texte collaboratif en temps réel. Gobby est déjà très satisfaisant pour une activité demandant ou reposant sur une co-écriture partagée en temps réel, mais en attendant que davantage de logiciels proposent ce genre de fonctionnalités pour d’autres types de documents et pour d’autres activités plus évoluées (bureautique, traitement multimédia, etc.), SparkAngels permet déjà une interaction forte, avec en prime la possibilité intégrée de s’envoyer des fichiers mais aussi avec celle d’intervertir facilement les rôles - et donc l’écran qui est partagé. À utiliser en parallèle avec le téléphone en attendant que le service intégré de voix sur IP s’améliore.

Via JF Ruiz.



Répandre l’usage des RSS

22 10 2006

Aref Jdey (Vtech) signalait avant-hier un article du Journal du Net portant sur l’intérêt des flux RSS pour les acteurs du commerce en ligne. L’article explique qu’une utilisation judicieuse des RSS permet notamment de :

  • booster son référencement naturel ;
  • proposer ses offres en temps réel ;
  • personnaliser la relation client ;
  • fidéliser et recruter en ligne ;
  • enrichir le service d’affiliation.

Cet article me donne l’occasion de développer un point connexe, exposé récemment par Library clips, partant du constat que la technologie a beau exister depuis de nombreuses années, l’usage des flux RSS est encore très marginal chez les internautes. Library clips propose une réflexion intéressante sur les éléments déterminants pour leur vulgarisation. Il faudrait notamment que les profanes apprennent :

  • à utiliser un lecteur RSS - et pour cela l’incorporer dans des outils qu’ils utilisent déjà ;
  • où chercher de nouveaux flux RSS - et pour cela aussi les incorporer dans des outils ou des dispositifs qu’ils utilisent déjà ;
  • à souscrire à des flux - et à cette fin que leur navigateur les découvrent et les suggère automatiquement (comme le fait par exemple déjà Firefox), puis propose d’y souscrire dans le navigateur, par mail, dans le lecteur RSS, voire de manière transversale ;
  • à prendre en charge l’infobésité - et pour cela que des packages thématiques de flux soient facilement disponibles, comme BlogBridge Feed Library, Technorati Blog Directory, Top 10 sources, etc., ou que se multiplient et se démocratisent des sites offrant en continu un service similaire de compilation comme Slashdot, TechCrunch, digg, etc.

Mais je nuancerais ce qui précède. Un point déterminant me semble avoir été négligé. La faible proportion d’internautes à utiliser les flux RSS, le fait essentiellement pour de la veille, de la recherche ou de la diffusion documentaires (au sens le plus large), quel qu’en soit l’objet.

Pour accroître l’usage des RSS, il faut donc que se généralise cette activité de veille et de diffusion d’information, ou que de nouveaux usages émergent. La mutation à l’oeuvre dépasse largement à mes yeux l’apprentissage de nouvelles techniques ou technologies, et inclut l’adoption de nouvelles pratiques.



GoogleTube : besoins de recherches en SHS

10 10 2006

Je profite du buzz autour du rachat de YouTube par Google pour reprendre et prolonger la réflexion proposée par Alexis Mons ce matin sur le blog de groupe Reflect (« YouTube, premières leçons d’un rachat ») dans laquelle il souligne le primat, pour l’économie 2.0, de la valeur de l’échange ou de la relation, sur celle du contenu ou du produit :

En fin de compte, il me semble que la leçon de ce rachat, c’est de croire au changement économique du 2.0, celui d’une économie non plus centrée sur la matière, mais sur les échanges, la notoriété et la socialisation que cela rapporte à chacun. C’est après tout ça que nous allons tous chercher sur les services 2.0 et il est alors sain de penser que la valeur d’un service soit lié à ça et non au contenu qu’on a déposé chez lui.

La nouvelle a surpris beaucoup de pronostiqueurs qui se refusaient à croire au rachat de YouTube par Google mettaient notamment en avant le problème soulevé par les droits de propriété intellectuelle : les ayants-droits, et en premier lieu les majors, principaux fournisseurs de contenu audio-visuel, étaient censés attendre le rachat de YouTube par un gros poisson, solvable, pour déclencher une déferlante de procès pour toutes les vidéos illégalement diffusées sur ce site. Le montant de l’opération financière (1,65 milliards de dollars pour une compagnie qui a moins de 2 ans et de 70 salariés) a d’autant plus dérouté ceux qui négligeaient le transfert de valeur, dans le modèle économique 2.0, des objets d’échange au profit du réseau.

Cette valeur des réseaux, elle transparait bien sûr dans le montant des acquisitions récentes. Toutefois, sans une meilleure compréhension de leur fonctionnement (genèse, organisation, développement, entretien et délitement), l’estimation de cette valeur, basée uniquement sur des ventes ou achats de sociétés, reste difficilement transférable ou exploitable, donc ni largement généralisable ni prédictible. C’est pourquoi il semble important de multiplier, bien au-delà de ce qui se fait déjà, les projets de recherche portant sur le fonctionnement de ces collectifs, communautés ou réseaux socio-techniques, pour lesquels de nombreuses spécialités des sciences de l’homme sont pertinentes. L’enjeu socio-économique en est évident.

Par ailleurs, le modèle économique 2.0 bouscule de façon incontestable plusieurs principes de la propriété intellectuelle. Pourtant les bouleversements qu’on peut pressentir restent encore aujourd’hui très flous. Ici encore, des recherches sur les usages et parallèlement des travaux apportant un développement théorique du droit en la matière sont donc valorisables.



Les changements induits par la Bureautique 2.0

4 10 2006

Louis Naugès propose aujourd’hui une synthèse éclairante sur la bureautique 2.0, avec notamment une identification des différences avec la bureautique 1.0 :

Principes Bureautique 1.0 Bureautique 2.0
Qui : Je Nous
Quoi : Produire Partager
Plateforme : PC Web
Outils : Suite intégrée Composants
Fonctionnalités : Puissantes Légères
Nombre d’outils : Faible Elevé
Fournisseurs : Monopole Nombreux
Formats : Propriétaires Ouverts
Classement : Dossiers Tag, étiquette

Je propose une dixième différence majeure, qui pourrait caractériser le mode de travail ou son organisation, et concerner la temporalité. La synchronie ou la succession sérielle des tâches sont emblématiques de la bureautique 1.0. La bureautique 2.0 par contre, parce qu’elle s’appuie sur le travail collaboratif, le partage et l’échange que facilite le web, favorise - en plus du travail synchrone - l’asynchronie ou le travail en parallèle.

Cette réorganisation du travail est possible grâce aux nouveaux outils mais demande également de profonds changements de mentalité et le développement de nouvelles compétences sociotechniques.



Fonctionnement de l’entreprise classique vs entreprise 2.0

2 10 2006

Rod Boothby nous proposait il y a quelques jours une analyse des peurs que les blogs internes pouvaient susciter chez les responsables d’entreprise : Bloggers are Dangerous. Vincent Maurin (Faut le savoir) en a proposé un résumé en français très synthétique.

Comparaison des modes de fonctionnement

Dans la même veine, Rod Boothby a élaboré hier un tableau comparatif pour tester une première réponse à la question : comment le mode de fonctionnement des affaires d’aujourd’hui soutient-il la comparaison avec le mode de fonctionnement d’une entreprise 2.0  ?

À côté des différences relevant de questions techniques, le point crucial, qui rejoint l’analyse qu’il proposait dans le billet sur le danger des bloggers que je citais plus haut, apparait être la notion de contrôle et la conception du management qu’ont ou qu’auront les entreprises. Selon Rod Boothby, les modes actuels de management les plus fréquents relèvent de la théorie X de Douglas Mc Gregor (le management autoritaire) et du contrôle direct, quand l’entreprise 2.0 promeut un contrôle oblique, basé sur des primes d’encouragement, autorisant les collaborateurs à prendre des initiatives, c’est-à-dire un management participatif (le management Théorie Y).

Réflexion en cours d’élaboration - à suivre.



Venir à l’entreprise 2.0 par l’email

13 09 2006

Rod Boothby (Innovation Creators) a proposé il y a quelques jours une réflexion intéressante intitulée « Email is critical to Enterprise 2.0 and Office 2.0 » dans laquelle il passe rapidement en revue les avantages et inconvénients comparés de l’email, du blog et du wiki par rapport à certains critères d’utilisation : instantanéité, partage, possibilités de recherche, etc. Selon lui, l’émail pourrait servir à faciliter l’adoption de l’entreprise 2.0, notamment parce qu’il est possible de blogger par mail. Le blog assigné à un projet donné peut ainsi devenir un outil d’archivage, de diffusion, de discussion, etc. aussi simple que le mail :

Blogs can have email addresses. If you are working on a project, and feel that the email you are writing will be useful to the whole team, or even to a broader audience, don’t cc 5,000 people just in case they might want to know. Instead, cc the project blog. It really is as easy as that. […] Not all end users will be comfortable using a web based input screen. For those users who are not, it is important to give them as many familiar options as possible.

L’idée me paraît très pertinente ; par contre, Rod Boothby ne dit rien à propos de la transition entre l’email et le wiki. Or comme le souligne Zoli Erdos dans l’un des commentaires du post :

Blogs and wikis are often lumped together, but there is a huge difference: with a blog, the focus is still largely on communication, whereas using a wiki allows creation. Wikis shine when it’s not the debate/discussion, the individual arguments/comments that matter, but the synthesis of the collective wisdom.

L’expérience montre en effet facilement que l’email est un outil lourd et peu efficace pour la création collaborative (en l’occurrence, il fonctionne davantage comme un suivi de modification que comme un outil d’élaboration). Et si la plupart des wikis propose des notifications par flux RSS (qu’il est donc possible de lire, à défaut de lecteur de flux dédié, dans son client messagerie), voire directement des notifications par mail, l’email reste difficilement utilisable pour alimenter ou développer un wiki, et donc peu adapté pour assurer une transition vers cet outil.

The Entreprise 2.0 Communication Continum

Le wiki pose d’ailleurs des problèmes différents, plus organisationnels que techniques (les personnes qui auront l’habitude de blogger ou de poster des commentaires sur des blogs n’auront pas de difficultés techniques pour utiliser un wiki). Il peut en effet servir, entre autres, d’outil de création collaborative et pour faciliter cette tâche, il fonctionne comme un outil potentiellement très asynchrone, plus que le blog encore.

Gobby, éditeur de texte collaboratif en lignePour celles et ceux qui ont l’habitude de travailler à plusieurs de manière synchrone, sur un même ordinateur ou autour de la même table pour l’élaboration, la rédaction ou la correction d’un document par exemple, je conseille de tester Gobby, un éditeur de texte collaboratif en temps réel. Gobby est un logiciel libre, multiplateforme, d’abord pensé à destination des développeurs de code mais en tant qu’éditeur de texte, il fonctionne parfaitement pour n’importe quel texte. Il permet à plusieurs personnes connectées sur un réseau local ou via internet, l’édition simultanée d’un même document (les modifications s’affichent instantanément, avec une différenciation des auteurs grâce à un surlignage en couleur). Il intègre en plus une messagerie instantanée.

Gobby, éditeur de texte collaboratif en ligne

À quand le développement, sur la base de ce principe, d’un traitement de texte collaboratif en temps réel ? Si vous en connaissez déjà, ça m’intéresse, faites-le moi savoir !